
Sébastien Ogier est entré dans l'histoire ce samedi en remportant un neuvième titre de champion du monde à l'issue du Rallye d'Arabie saoudite. Son ancien co-pilote Julian Ingrassia s'est confié à RMC Sport après son sacre.
Comment avez-vous vécu la journée de samedi?
C'était intense tout le week-end. Chaque spéciale, chaque jour, chaque minute, chaque position nous a rendu fous. Je ne savais pas trop comment j'allais vivre cette histoire. Évidemment, j'ai vécu pendant 16 années l'aventure aux côtés de Seb (Ogier). L'adrénaline, l'aventure, la pression, la rigueur, les sacrifices, tout. Et là, c'est mon choix d'être parti, d'avoir arrêté. Je ne le regrette aucunement. Je suis parti du milieu du WRC, du copilotage. Et je me posais la question de savoir si je ne serais pas un peu aigri de voir Seb monter sur le toit du monde, un peu jaloux. Et en fait, j'ai ressenti beaucoup d'excitation, beaucoup de joie. Et c'est bon signe parce que ça veut dire que je suis quand même clair avec moi-même, avec ma décision d'être parti de là-bas. Et surtout, il ne me reste que des bons souvenirs du rallye. 16 années avec autant d'adrénaline et de pression, on ne se rend pas compte, ça ne disparaît pas d'un coup comme ça. Et cette nuit, ce matin, je vivais encore le moment, j'étais dans la voiture avec eux.
Justement, vous avez passé 16 ans de votre vie à être copilote de Sébastien Ogier. Est-ce que, pendant ces 16 années, c'était déjà son objectif de faire neuf titres mondiaux, d'atteindre le niveau de Sébastien Loeb? Est-ce que vous en parliez déjà?
Le record de neuf titres, ce n'était pas un objectif en soi. Ni Seb, ni moi, on n'a jamais eu ça en tête parce qu'en fait, on a eu un parcours à la fois tellement similaire et tellement différent avec Sébastien Loeb que c'était difficile de poser la comparaison. Parce que nous, on est passé par tellement d'écuries différentes. On a dépensé tellement d'énergie. Une fois qu'on est dans la même écurie, malgré tout, on a quand même un confort, on a des habitudes, on dépense moins d'énergie tout simplement. Du coup, d'avoir eu ces huit titres avec trois écuries différentes, pour nous, c'était ça notre gloire. Je ne pense pas que Seb avait vraiment ça en tête non plus jusqu'à cette année où il a vu l'opportunité mathématique, on va dire, d'aller chercher un titre.
Il a retrouvé aussi une pleine forme, une motivation exceptionnelle et c'est ça qui l'a boosté.
Vous qui le connaissez bien, quel genre de pilote et d'homme est-il? C'est quoi son état d'esprit quand il est dans la course?
Sébastien Ogier, c'est la personne la plus tenace, la plus compétitrice, la plus sportive que je connaisse. Pour lui, il y a la performance et le sport, mais le sport avec un grand S, le sport où ça se bagarre à la régulière, le sport qui donne lieu à de belles victoires. Il est énormément là-dedans. Sébastien Ogier ne supporte pas les faits de course ou les décisions sur tapis vert ou à cause de la réglementation. C'est quelque chose qui le rend malade. Comme il est ultra rigoureux avec les autres, il l'est aussi avec lui-même. Quelle que soit la situation, quelle que soit la condition, c'est quelqu'un qui, de toute façon, ne lâchera pas, ne lâchera rien.
Vous êtes encore en contact? Est-ce que vous pouvez dire que vous êtes amis?
On a une histoire particulière avec Seb, je ne veux pas dire compliquée, parce que c'est la relation pilote-copilote qui est de toute façon très unique. Il faut se rendre compte qu'on est deux personnes dans le cockpit, dans un habitacle qui fait un ou deux mètres carrés, lancés à 180 à l'heure pendant des années et des années, au milieu des arbres, des forêts, de nuit, sur la glace, dans la boue. On est deux dans la voiture. On est deux à se faire une confiance réciproque et à partager une pression démoniaque de notre team pour qu'on gagne, de nous-mêmes pour qu'on gagne, de nous-mêmes pour survivre, pour ne pas aller s'éclater contre un arbre, des médias qui nous attendent tout le temps, des fans qui sont de plus en plus nombreux. On est deux, mais par contre, on ne se voit jamais. Nos regards ne se croisent pas, parce qu'on est assis tous les deux côte à côte dans une voiture de course. On ne se voit pas. C'est un peu frustrant, mais par contre, on regarde dans la même direction. C'est ça qui crée un lien si fort entre un pilote et son copilote.
On n'a jamais commencé notre carrière en étant amis. On a appris à se connaître au fur et à mesure des rallyes. On a eu une relation professionnelle au départ, puis on a appris à se découvrir. C'est autre chose, je ne sais pas mettre un nom sur notre relation. Après toutes ces années d'efforts, on passait des milliers d'heures ensemble, dans la voiture, dans les chambres d'hôtel, à travailler, dans les avions. Je ne sais pas mettre un nom sur cette relation qui est folle. Mais ce qui est sûr, c'est qu'elle est faite d'un tissu, d'un cordon qui est indélébile. Et je crois qu'aujourd'hui, Sébastien Ogier, en sautant sur le toit de sa voiture, et en célébrant le titre de son nouveau copilote Vincent Landais, il ne l'a pas fait pour du chiquer, il l'a fait parce qu'il le vivait vraiment. Et je crois qu'il était content que le relais soit transmis à Landais de cette manière. Ce qui est sûr, c'est qu'on a dû puiser fort dans nos ressources, Seb et moi, pour créer cet équipage. On est parti de rien. Seb a fait son tout premier rallye de sa carrière avec moi. Et au lendemain du huitième titre ensemble, on s'est séparés, j'ai arrêté le rallye.
Quand était le huitième titre?
Le huitième titre, c'était à Monza en Italie, en novembre 2021. On se bat dans les mêmes conditions contre (Elfyn) Evans, au rallye de Monza du côté de Milan. C'est à nouveau l'homme qui nous met des bâtons dans les roues. Et donc à nouveau, c'est la finale, dernier rallye de la saison à Monza en Italie. Evans contre Ogier, celui qui gagne le rallye, gagne le championnat. C'est tout simple. Et du coup, c'est à nouveau terminé par un mano-a-mano. Et au lendemain de ce titre-là, j'avais pris la décision d'arrêter ma carrière professionnelle et je laissais Seb dans les mains de Vincent Landais.
"Il ne fait pas d'erreur, il est injouable"
Est-ce que c'est courant que ça se joue dans le dernier rallye de la saison, à quelques secondes?
Non, pas du tout! Nous, à titre d'exemple, avec Seb, parmi nos titres, on a gagné, je pense, 80% de nos titres mondiaux un ou deux rallyes avant la fin du championnat. Alors que là, entre Monza 2020, Monza 2021 et cette année 2025, c'est trois titres et trois années qui se sont bagarrés jusqu'au dernier rallye.
Pour vous, est-ce que c'était la suite logique pour Sébastien Ogier de remporter le neuvième titre de champion du monde de sa carrière?
J'ai lu, il y a longtemps, quand j'étais ado, un bouquin écrit par Stephen King, "Marche ou crève". Je me suis pas mal projeté là-dedans, et Sébastien aussi. C'est-à-dire que, grosso modo, sans spoiler la fin, c'est une marche forcée en avance, une marche éternelle en avance.
Quand on a été compétiteur, comme Sébastien Ogier, même une fois la ligne d'arrivée franchie, on ne peut pas s'arrêter, et on va encore chercher.
Est-ce que vous pensez qu'il peut aller chercher encore un dixième, un onzième titre?
Oui, un dixième, oui. Il y a beaucoup de choses qui rentrent en compte dans l'équation, c'est-à-dire que je dis oui, là, assurément, parce qu'on a vu cette année, et encore sur sa dernière manche, qu'il est juste dans une forme exceptionnelle. Il ne fait pas d'erreur, il est injouable. Quand il met des coups d'accélération, qu'il a décidé de prendre des risques, de déposer les autres, il n'y a plus personne qui touche terre. Et le règlement, tel qu'il est là, on arrive à un bon équilibre entre les équipages. Tout ça pour dire qu'aujourd'hui, tel que c'est là, Sébastien Ogier, il est capable, malgré son âge, malgré les efforts, malgré tout ce qu'on veut, d'aller chercher un dixième titre. Un onzième, là, on commence à se projeter un peu loin... La fatigue, le règlement qui change, les risques pris, la famille, ça c'est encore un peu loin. Mais le dixième, je pense qu'il l'a presque annoncé aujourd'hui, après le podium final. Il a dit qu'il repartait pour une saison 2026 avec pas mal de rallyes au calendrier.