"Ce qu'elle est en train de réaliser, elle m'en avait parlé": Loïs Boisson visualisait déjà un titre à Roland-Garros l'an dernier, son ancien préparateur mental raconte

Par: RMC sport tennis Posté le: Juin 05, 2025 Voir: 3

Spécialiste de la préparation mentale et habitué à travailler avec de nombreux sportifs de haut niveau, Pier Gauthier a collaboré avec Loïs Boisson entre 2023 et 2024 avant la grave blessure qui a freiné sa carrière. Le fondateur du site www.coachingmental.fr a analysé pour RMC Sport cette force mentale et cet état d’esprit ambitieux qui ont aidé la Française à se relancer jusqu’à signer une performance historique à Roland-Garros.

Pier Gauthier, à l’heure où le grand public découvre avec plaisir Loïs Boisson vous faites partie de ce eux qui la connaissent depuis un moment. Vous avez collaboré avec elle sur sa préparation mentale via votre structure www.coachingmental.fr, quels ont été les contours de cette association?

Oui, tout à fait. Très naturellement, comme pas mal d'athlètes, elle m'a contacté parce qu'elle rencontrait des difficultés pour être capable de mettre en place ce qu'elle est capable de faire en fait aussi bien techniquement et physiquement. C’était pour être capable de le mettre en place en match dans les moments à fort enjeu. Donc elle m'a été recommandée par quelqu'un et son agent aussi donc voilà donc elle a pris contact avec moi puis on a commencé une collaboration fin 2023 jusqu'à mai 2024.

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Etes-vous surpris par les performances de Loïs Boisson lors de ce Roland-Garros ou pas du tout?

C’est dur de dire pas du tout mais si vous voulez… Moi je travaille comme ça avec mes athlètes. C'est-à-dire que la première chose qu'on fait, c'est, et d'ailleurs on en a parlé car ça a surpris pas mal de monde, c'est ce que j'appelle la détermination d'objectif. C'est-à-dire que moi je pousse mes athlètes à vraiment rentrer en contact avec un objectif ultra puissant. Ça va un peu contre la plupart des gens et comment ils travaillent parce qu’on croit qu'un objectif ça vient mettre la pression, et donc généralement on n'ose pas les dire ou on dit des objectifs très bas. Alors que moi, justement, j'essaie de les libérer pour pousser à viser très haut, avec des objectifs très élevés qui les font vraiment rêver. Donc forcément, moi, elle m'en a parlé de ce qu'elle est en train de réaliser. Parce que là, si je la mets dans des états où elle vise vraiment très haut, c'est des choses qu'elle m'a dites, qu'on a formalisées ensemble. Maintenant, voilà... Surpris? Oui et non. Elle a fait un énorme résultat mais on a travaillé pour ça, là-dessus.

"En France, quand on appelle un coach mental, c'est qu'on rencontre des difficultés"

Loïs Boisson a ce côté, presque désarmant et assez peu courant chez les sportifs français d’assumer ses envies de victoire, c’est forcément positif selon d’aborder un tournoi tel que Roland-Garros comme ça?

Oui, tout à fait. C'est ce que je vous explique. C'est-à-dire que la plupart des gens vont penser qu'il ne faut pas le dire, qu'il faut le garder pour soi, que ça fait prétentieux… Et en fait, la plupart des athlètes sont très en difficulté avec des objectifs élevés et des objectifs ambitieux. C'est-à-dire qu'ils ont l'impression que dès qu'ils vivent quelque chose d'un peu hors norme, ils vont passer pour des prétentieux, ils vont avoir la grosse tête alors qu'en fait pas du tout. Tous les grands champions, ils vivent très très haut, il n'y a qu’en France où on résonne comme ça. Donc moi mon travail, il consiste à les réconcilier avec ça, à avoir de l'ambition. Alors après, le dire sur le Central de Roland-Garros ou dans une interview, elle fait ce qu'elle veut. Mais en tout cas, moi, la façon dont je travaille avec mes athlètes (au sein de la structure www.coachingmental.fr), c'est justement les réconcilier avec le fait de viser très haut. Parce que ce qui m'intéresse, ce n'est pas juste de le dire mais c'est d'avoir un objectif comme ça, vous oblige derrière, quand vous l'avez dit, vous oblige derrière à réfléchir à toutes les choses qu'il y a à mettre en place pour l'atteindre. Et là on commence à vraiment travailler sérieusement. Quelqu'un qui n'ose pas dire qu'il veut par exemple gagner Roland-Garros, il s'entraîne… Si son objectif, soit il n'en a pas, soit il dit je veux juste prendre 100 places dans le WTA, il ne fait pas ça de la même façon qu'une joueuse qui a en tête de gagner un jour Roland-Garros ou un Grand Chelem. Moi ce qui m'intéresse c'est de me mettre dans ces états-là. Donc après qu'ils osent le dire ou pas, chacun fait ce qu'il veut.

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Et sur Loïs Boisson justement, quelles étaient selon vous ses principales qualités au niveau mental, quand vous avez travaillé avec elle? Parce qu'aujourd'hui, elle semble dégager une sérénité incroyable sur le cours…

Alors moi, quand je commence à travailler avec des athlètes, la plupart du temps et c'est encore ce qui est un peu malheureux en France, et on est encore un peu dans cette idée-là. Généralement, les athlètes qui viennent me voir, ils ne montrent pas des qualités mentales hors normes. Ils ne maîtrisent pas. Aujourd'hui en France, quand on appelle un coach mental, c'est qu'on rencontre des difficultés. Donc moi, quand je rencontre Loïs et que je commence à travailler avec elle, on part plutôt des choses qui l'empêchent de jouer son meilleur tennis que les forces incroyables qu'elle me montre. Donc on a plutôt travailler dans ce sens-là.

On a vu sur son quart de finale, Loïs Boisson, froide, la tête sérieuse et appliquée sur son match et au contraire son adversaire, la Russe pourtant en sixième mondiale, perdre ses nerfs. Selon vous, c'est ce qui va faire la différence à ce niveau-là ? Ce côté froid de la Française malgré l'enjeu…

Oui, on l'a bien vu encore ce mercredi, la réponse est dans votre question. Je veux dire que le niveau technique et physique entre une sixième mondiale et une 350e mondiale (Loïs Boisson est 361e à la WTA) même si Loïs n'est pas vraiment 350e mondiale quand même, parce qu'avant de se blesser, quand elle s'est arrêtée l'an passé, elle venait quand même de gagner quatre tournois. Elle était déjà 150e à ce moment-là je crois, donc ce n'est pas forcément une 350e mondiale. Mais ce que je veux dire c'est que, finalement, la différence technique ou physique entre une sixième mondiale et Loïs Boisson, elle n'est pas si élevée. A ce niveau-là, je dirais qu’ils savent tous taper dans la balle, courir, ils sont tous forts physiquement, ils se préparent tous très bien, ils s'entraînent tous très bien. Il ne faut pas croire qu'une 150e mondiale, elle s'entraîne quatre fois moins qu'une sixième mondiale, ce n'est pas vrai. Ils s'entraînent autant, ils ont des staffs, ils ont des entraîneurs, etc. Finalement, la preuve c'est que sur le match contre Andreeva, techniquement et physiquement, je dirais bon courage pour me dire laquelle est sixième et laquelle est 350e si vous ne les connaissez pas. Par contre, ce qu'on voit mercredi, pour plein de raisons, parce qu'Andreeva n'a pas su gérer plein de choses, on voit une Loïs Boisson qui est dans son match, qui joue son rôle complètement libérée alors qu’on le voit une Andreeva qui s'agace, qui s'énerve, voire qui pète les plombs. Le problème à ce niveau-là, comme elles jouent toutes bien, quand il y en a une qui pète les plombs et l'autre qui reste dans son match, il n'y a pas de match en fait. Ce n'est pas forcément celle qui est sixième mondiale qui gagne.

"Le problème à ce niveau-là, comme elles jouent toutes bien, quand il y en a une qui pète les plombs et l'autre qui reste dans son match, il n'y a pas de match en fait. Ce n'est pas forcément celle qui est sixième mondiale qui gagne."

Pensez-vous que cet état d'esprit, cette sérénité mentale et cette force mentale qu'elle a acquis au fil du temps, est-ce que c'est ce qui va lui permettre de briller peut-être sur la durée? Que ce Roland-Garros ne soit pas juste un coup de 15 jours mais qu'elle puisse s'installer dans les prochains mois et rééditer des performances du même ordre?

Je l'espère. Le travail que j’ai fait, et j'imagine aussi le travail que son staff a fait avec elle, c'est lui apprendre justement à réfléchir d'une façon et à penser d'une façon optimale et à se préparer d'une façon optimale. Mais après, encore une fois, il y a plein de choses qui peuvent rentrer en compte et qu'il faut continuer à travailler ou qu'il faut aborder. Si elle commence à se dire "maintenant que j'ai fait ça, je dois absolument confirmer ou faire aussi bien la prochaine fois", elle va reperdre ce qui fait sa force cette semaine comme sa percussion et le fait de taper dans la balle. En France, on est beaucoup comme ça, on est beaucoup dans le "il faut confirmer", on produit des pressions inutiles à plein d'endroits. Donc tout va dépendre comment elle appréhende ça et comment elle gère ça. Mais bien évidemment que c'est ce que tout le monde espère. C'est-à-dire que moi, avec le travail que j'ai fait avec elle, le travail que ses entraîneurs ont fait et qu'ils font avec elle depuis un an, c'est qu'on espère que quand elle met le doigt sur un truc qui marche, elle va continuer à le faire. Mais le problème, c'est qu'il y a plein d'autres paramètres qui peuvent rentrer en jeu.

Vous voyez, on prenait le match aussi d'Andreeva mercredi. Pourquoi Andreeva pète les plombs? Parce qu'elle se met dans une façon de penser sur ce match-là, qui est en gros, je suis sixième mondiale, l'autre est 350e mondiale, c'est l'occasion unique d'aller en demie de Roland, voire de gagner, et donc je n'ai pas le droit de perdre contre cette fille-là. Et dès qu'elle rentre un petit peu, je suis sûr que ça a dû tourner autour de ça, et dès qu'elle rentre un tout petit peu dans cette logique-là, une fille aussi impressionnante soit-elle, parce que tout le monde disait que c'est la superstar qui va tout gagner, en fait, elle perd pied. C'est-à-dire que son niveau de jeu technique diminue très fortement. C'est-à-dire qu'il y a des moments où elle est très loin de ce qu'elle fait d'habitude, parce qu'elle aborde ce match-là d'une mauvaise façon et elle se prend les pieds dans le tapis. Ça peut bouger en permanence ces trucs-là, c'est pour ça que c'est des choses qui sont à travailler en permanence pour garder une forme d'équilibre et de sérénité régulièrement sur le long terme. Et c'est ça qui est très dur évidemment.

"Son accident de parcours, a pu l'aider à remettre les choses à leur place"

Et selon vous, il y a eu un déclic mental chez Loïs Boisson, après sa blessure notamment, ou est-ce qu’il y a eu une progression peut-être linéaire par rapport au moment où vous avez travaillé avec elle? Selon vous, il y a eu un élément clé pendant les derniers mois?

C'est ultra dur à savoir, il faudrait lui poser la question à elle. Moi je crois que forcément son histoire personnelle joue. C'est-à-dire que moi j'ai travaillé sur des sujets avec elle, bien évidemment, mais ce qu'elle a vécu peut l'aider à accélérer le process, parce que là on sent qu'il y a eu vraiment un gap important. Moi je vous dis quand j'arrête de travailler avec elle, elle sort quand même d'une période où elle a très très bien joué sur plusieurs tournois. Et en fait on travaille beaucoup à l'époque sur cette liberté de jouer son jeu, en étant prête à tout, en acceptant tous les résultats, en étant ok avec tout. Mais en fait vous comprenez bien que quand elle a cette blessure-là, qu'elle est arrêtée et que peut-être elle imagine que sa carrière va s'arrêter, tout ça cela accélère puissance 1.000 le processus.

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Finalement quand elle revient, et j'ai vu une vidéo où elle l'explique très bien, elle prend un plaisir fou à des choses toutes simples. Et elle comprend, elle revient à l'essence même de ce qui fait la qualité d'une joueuse ou d'un joueur, c'est-à-dire le plaisir de jouer et le plaisir d'être là sans se soucier de l'enjeu. Juste à être dans le jeu et c’est ce qu'on a vu mercredi. Donc dire qu'il y a un truc déterminant, c'est un peu un ensemble de plein de choses. Et puis je suis aussi sûr, encore une fois, que les discours de ses entraîneurs l'aident aussi à avancer là-dessus. Mais c'est sûr que son accident de vie, son accident de parcours, a pu l'aider à remettre les choses à leur place. Finalement, gagner ou perdre…quel bonheur déjà d'être juste sur le terrain. Et là, tous les grands champions ont compris ça.

Jean-Guy Lebreton Journaliste RMC Sport

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