D'un combat pour l'égalité à un spectacle médiatique : l'histoire de la « Bataille des Sexes »

D'un combat pour l'égalité à un spectacle médiatique : l'histoire de la « Bataille des Sexes »
Par: Tennis Temple Posté le: Décembre 27, 2025 Voir: 0

En 1973, Billie Jean King a fait bien plus que battre Bobby Riggs : elle a renversé un symbole. Cinq décennies plus tard, la « Bataille des Sexes » renaît entre Aryna Sabalenka et Nick Kyrgios, mais cette fois, le combat semble avoir perdu son âme.

D'un combat pour l'égalité à un spectacle médiatique : l'histoire de la « Bataille des Sexes »

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Jules Hypolite

le 27/12/2025 à 17h01

12 min de lecture

Dans l’histoire du tennis, la « Bataille des Sexes » reste indissociable du duel mythique entre Billie Jean King et Bobby Riggs en 1973. Mais derrière ce match fondateur se cache une série d’exhibitions opposant joueurs et joueuses dans un cadre davantage marketing que sportif.

Plus de cinquante ans plus tard, le concept refait surface. L’annonce, en 2025, d’une confrontation entre Aryna Sabalenka et Nick Kyrgios rappelle que la comparaison directe entre hommes et femmes continue de susciter des débats, bien que les enjeux aient drastiquement changés.

AVANT 1973 : LOTTIE DOD, LA CHAMPIONNE OUBLIÉE

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Pour remonter aux origines de la « Bataille des Sexes », il faut revenir à la fin du XIXᵉ siècle, à une époque où le tennis est un sport bien moins médiatisé.

Figure majeure de ces premières confrontations, la Britannique Lottie Dod domine le tennis féminin, remportant cinq titres à Wimbledon entre 1887 et 1893. À seulement 17 ans, elle accepte en 1888 de se mesurer à des joueurs masculins lors de trois exhibitions inédites.

La première l’oppose au tenant du titre de Wimbledon, Ernest Renshaw, dans un match conditionné par un handicap de 30-0 en sa faveur à chaque jeu. Malgré un premier set convaincant, Dod s’incline de peu (2-6, 7-5, 7-5). Elle s’impose en revanche lors des deux rencontres suivantes, face au champion d’Écosse Harry Grove (1-6, 6-0, 6-4) puis contre William Renshaw (6-2, 6-4).

Longtemps relégués aux marges de l’histoire, ces matchs témoignent déjà d’une remise en cause de l’ordre établi. Servant à la cuillère et vêtue d’une tenue restrictive, Dod démontre par ses qualités athlétiques qu’une femme peut rivaliser avec les meilleurs joueurs de son époque. Précurseur du tennis féminin, elle sera intronisée au Hall of Fame en 1983.

Ces affrontements restent toutefois isolés et sans véritable impact sociétal. Il faut attendre le début des années 1970, dans un contexte de forte médiatisation du sport et de revendications féministes, pour que la « Bataille des Sexes » change d’échelle.

Le duel entre Billie Jean King et Bobby Riggs fait basculer ces exhibitions dans une autre dimension, sportive autant que politique.

BILLIE JEAN KING - BOBBY RIGGS, L'ACTE FONDATEUR

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En 1973, Bobby Riggs, alors âgé de 55 ans, se distingue moins par ses performances sportives que par une série de déclarations ouvertement sexistes.

« L’homme est le roi suprême », affirme-t-il, avant de provoquer encore davantage : il dit aimer les femmes « dans la chambre à coucher et dans la cuisine, dans cet ordre », estimant que « la meilleure façon de s’en occuper » consiste à les maintenir « enceintes et pieds nus ».

Né en 1918, Riggs est une figure reconnue du tennis américain. Ancien numéro un mondial, il a remporté trois tournois du Grand Chelem en simple (Wimbledon en 1939, l’US Open en 1939 et 1941) et reste un champion respecté. Mais des années après sa retraite, il se réinvente en provocateur assumé, multipliant les sorties médiatiques et affirme que le tennis féminin est « inférieur » au tennis masculin.

Bien qu’éloigné des courts depuis plus d’une décennie, il lance alors un défi retentissant : selon lui, aucune joueuse en activité ne serait capable de battre un joueur masculin, même retraité.

13 mai 1973 : le « Massacre de la fête des Mères »

Ces déclarations finissent par convaincre Margaret Court, figure dominante du tennis féminin des années 1960 et 1970, de relever le défi. Le match est organisé à Ramona, en Californie, à une date hautement symbolique : le 13 mai 1973, jour de la fête des Mères.

Pour sa participation, l’Australienne perçoit 20 000 dollars (l’équivalent de 145 000 dollars en 2025) une somme largement supérieure aux gains offerts par les tournois du Grand Chelem féminins de l’époque.

Malgré un palmarès exceptionnel et un statut de n°1 mondiale, Court ne parvient jamais à imposer son jeu. Diffusée à l’échelle nationale par CBS Sports, la rencontre tourne rapidement à l’avantage de Riggs. Incapable de contrer la tactique de l’Américain, faite d’amorties et de variations, elle s’incline lourdement (6-2, 6-1), dans un match rapidement rebaptisé le « Massacre de la fête des Mères ».

Surprise par l’ampleur du score et consciente de l’impact symbolique de la défaite, une certaine Billie Jean King se promet alors de répondre elle-même à la provocation. « Maintenant, je dois l’affronter », déclare-t-elle à l’époque.

Quatre mois plus tard, une victoire retentissante pour King

Porté par sa victoire expéditive face à Margaret Court, Bobby Riggs capitalise immédiatement sur l’événement. Il s’affiche en couverture de Time et de Sports Illustrated et multiplie les provocations, appelant d’autres joueuses à venir le défier. La « Bataille des Sexes » change alors de statut.

Dotée d’un prize money de 100 000 dollars (l’équivalent de plus de 700 000 dollars en 2025) la rencontre à venir dépasse largement le cadre sportif. Elle devient un enjeu sociétal, susceptible d’avoir des répercussions majeures sur la reconnaissance du sport féminin.

Le changement d’échelle est spectaculaire. Là où le match face à Court n’avait attiré que 5 000 spectateurs, l’affrontement suivant se tient à l’Astrodome de Houston, devant plus de 30 000 personnes, un record.

Tout est pensé comme un spectacle. L’entrée sur le court évoque davantage un combat de boxe qu’un match de tennis. À 30 ans, Billie Jean King, alors au sommet du tennis féminin aux côtés de Court, fait une arrivée théâtrale, portée par plusieurs hommes à la manière de Cléopâtre au temps des pharaons. Fidèle à son personnage, Riggs se présente de son côté entouré de mannequins.

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« Je t’ai sous-estimé »

Le match ne connaîtra pas un grand suspense. Le premier set, penche d’abord en faveur de Riggs avec un break d’avance à 3-2. Mais King répond dans la foulée : elle comble son retard puis break à nouveau à 5-4 pour s’adjuger la première manche.

Solide en fond de court, elle parvient à faire déjouer son adversaire, qui est contraint de courir derrière la balle. Pris à son jeu, Riggs change sa stratégie et tente de surprendre par des montées au filet. En vain, puisqu’il cède les deux manches suivantes pour finalement s’incliner 6-4, 6-3, 6-3.

« Je t’ai sous-estimé » sont les mots qu’il prononce à King au filet, et qu’il répétera par la suite en conférence de presse.

Le résultat, lui, entre dans l’histoire, et les réactions diffèrent : certains relativisent la victoire de King, évoquant la condition physique et l’âge de Riggs. D’autres saluent la performance de cette dernière, analysant une approche du match parfaite et à la hauteur de l’enjeu.

Sur le plan médiatique, la rencontre bat des records : près de 90 millions de téléspectateurs étaient devant leur téléviseur ce jour-là.

Une victoire qui dépasse le cadre du sport

Au-delà du résultat sportif, la victoire de Billie Jean King marque un tournant symbolique majeur.

Pour la première fois, une joueuse ne se contente pas de participer à un match opposant hommes et femmes : elle la remporte de manière nette, devant une audience mondiale, et face à un adversaire qui avait bâti sa notoriété récente sur la négation même du sport féminin.

En s’imposant dans un cadre ultramédiatisé, King fait voler en éclats un discours profondément ancré selon lequel les femmes seraient, par nature, incapables de rivaliser dans un environnement compétitif.

Les répercussions sont immédiates. Sur le plan médiatique, le tennis féminin accède à une visibilité inédite, tandis que Billie Jean King devient une figure publique dépassant largement le cadre sportif.

Un contrat télévisé signé avec une chaîne nationale

Déjà engagée dans la lutte pour l’égalité salariale, Billie Jean King voit sa crédibilité renforcée auprès des instances et du grand public. Quelques mois plus tard, l’US Open devient le premier tournoi du Grand Chelem à instaurer un prize money égal, tandis que CBS acquiert en 1974 les droits de diffusion de la WTA, marquant une avancée majeure pour le tennis féminin.

Au-delà du sport, le match s’inscrit dans un moment clé du mouvement féministe américain. La victoire de King devient un symbole durable : celui d’une réponse directe au discours sexiste dominant.

Si elle ne met pas fin aux inégalités, la « Bataille des Sexes » de 1973 ancre l’idée que le sport peut être un levier de transformation sociale. Comme le rappelle encore King : « Pas un jour ne passe sans que quelqu’un me parle du match contre Bobby Riggs ».

Cette victoire ouvre enfin la voie à une série d’exhibitions qui prolongeront, sous d’autres formes, la comparaison entre hommes et femmes sur un court de tennis.

APRÈS 1973 : MULTIPLICATION D'EXHIBITIONS, DÉTOURNEMENT DES RÈGLES

Considérée comme un moment fondateur pour le tennis et le sport féminin, la victoire de Billie Jean King ouvre la voie à une série d’exhibitions opposant hommes et femmes. Des rencontres toutefois davantage pensées pour le spectacle que comme de véritables leviers d’égalité sportive.

Dès 1975, le « Challenge of the Sexes » illustre cette dérive. L’événement réunit Björn Borg et Ilie Năstase côté masculin, opposés à Virginia Wade et Evonne Goolagong. Disputés sur un seul set, les matchs se jouent avec des règles aménagées : une seule balle de service pour les hommes et l’obligation de couvrir l’ensemble du court. Borg s’impose face à Wade (6-3), tandis que Năstase s’incline contre Goolagong (7-5).

Dix ans plus tard, en 1985, le double « Bataille des Sexes : le Challenge » confirme l’essoufflement du concept. Associé à Vitas Gerulaitis, Bobby Riggs, 67 ans, affronte Martina Navratilova et Pam Shriver. Physiquement diminué, l’ancien champion ne pèse pas sur la rencontre et le duo masculin s’incline nettement (6-3, 6-2, 6-4), dans un match rapidement relégué au second plan.

1992, une troisième version de la Bataille des Sexes

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© AFP

Avant le retour annoncé en 2025, la dernière « Bataille des Sexes » officielle remonte à 1992.

Baptisée « La Bataille des champions », elle réunit à Las Vegas, dans l’enceinte du Caesars Palace, deux légendes du tennis : Jimmy Connors, 40 ans, huit titres du Grand Chelem et 268 semaines passées au sommet du classement mondial, et Martina Navratilova, 36 ans, détentrice de 18 titres majeurs en simple.

Dépourvu de tout enjeu politique, l’événement est conçu pour le show. Les deux joueurs sont attirés autant par l’affiche que par les cachets promis : 500 000 dollars chacun (environ 1,1 million de dollars en 2025), une somme doublée pour le vainqueur.

Devant environ 14 000 spectateurs, soit bien moins que pour le duel King–Riggs, la rencontre se dispute sous des règles aménagées : Connors ne dispose que d’une seule balle de service, tandis que Navratilova bénéficie d’un court élargi.

Connors, d’abord nerveux, prend progressivement le dessus et s’impose en deux sets (7-5, 6-2). Des années plus tard, l’Américain révélera avoir parié un million de dollars sur une victoire avec moins de huit jeux concédés.

Navratilova, elle, reconnaîtra surtout le soulagement ressenti à l’issue du match : « J’étais extrêmement stressée. Je suis contente que ce soit terminé. »

En 1998, les sœurs Williams tentent leur chance

Après 1992, la « Bataille des Sexes » disparaît en tant que tel. Le duel Connors–Navratilova marque la fin d’un concept politique, désormais réduit à une simple exhibition. Mais la comparaison entre hommes et femmes, elle, continue de ressurgir, souvent de manière détournée.

C’est dans ce contexte que s’inscrit l’épisode des sœurs Williams. En 1998, Serena et Venus affrontent Karsten Braasch, alors classé au-delà de la 200ᵉ place mondiale, lors d’une exhibition disputée à l’abri des caméras, sur un court d’entraînement.

L’Allemand s’impose 6-1 face à Serena puis 6-2 contre Venus. Rapidement relayé par les médias, le résultat est utilisé comme un argument simpliste dans le débat sur la supériorité masculine, au mépris du contexte sportif.

Plus que le résultat, cet épisode montre comment la « Bataille des Sexes » est passée d’un combat idéologique à une simple comparaison, souvent sortie de son contexte.

2025 : LA BATAILLE DES SEXES RELANCÉE COMME UN PRODUIT MARKETING

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© FADEL SENNA / AFP

Cinquante-deux ans après l’opposition entre King et Riggs, la « Bataille des Sexes » fait son retour en 2025 sous une forme similaire à celle de 1992.

L’idée est révélée par Nick Kyrgios, finaliste de Wimbledon en 2022 et habitué des sorties médiatiques, avant d’être officialisée par la n°1 mondiale Aryna Sabalenka : une exhibition programmée le 28 décembre à Dubaï.

Elle se tiendra en pleine intersaison, à la veille du lancement de la saison 2026. Comme lors du duel de 1992, des règles spécifiques seront appliquées afin de rééquilibrer les débats : Kyrgios ne disposera que d’une seule balle de service et évoluera sur un court réduit de 9 %.

Un ajustement symbolique, fondé sur des études indiquant que les femmes se déplacent en moyenne 9 % plus lentement que les hommes.

« La seule similitude avec notre match, c’est qu’il y a un homme et une femme »

L’ensemble de ces aménagements, tout comme les prises de parole des protagonistes, ancre clairement cette « Bataille des Sexes » dans une logique de spectacle. L’objectif n’est plus de défendre une cause ou de porter un message en faveur du tennis féminin.

Comme l’a d’ailleurs rappelé Billie Jean King, figure emblématique du combat originel : « La seule similitude, c’est qu’il y a un homme et une femme. C’est tout. Notre match parlait de changement social et culturel, du contexte de 1973. Ce n’est pas le cas ici.

Mon combat était profondément politique. Il était difficile, culturellement, et je savais que je devais gagner pour que la société évolue. »

« Une insulte envers le tennis féminin »

Les critiques n’ont ainsi pas tardé à fuser dans le monde de la petite balle jaune. Roger Rasheed, entraîneur réputé, a qualifié ce match « d’insulte envers le tennis féminin », tandis qu’Eva Lys, joueuse professionnelle, y voyait avant tout « un excellent coup publicitaire ».

Jason Stacy, l’entraîneur de Sabalenka, a même reconnu son total désintérêt pour l’événement : « Pour être honnête, je ne serai même pas présent. »

Car si la confrontation de 1992 entre Connors et Navratilova mettait aux prises deux champions encore au sommet de leur art, le duel annoncé entre Sabalenka et Kyrgios apparaît bien plus contestable.

L’Australien a en effet perdu de sa superbe depuis plusieurs saisons et n’a disputé que quatre matchs sur le circuit ATP en 2025, ce qui décrédibilise en quelque sorte cette affiche.

En 2025, la « Bataille des Sexes » ne se présente donc plus comme un combat à gagner, mais comme un concept à exploiter. Là où le duel de 1973 portait un enjeu social majeur, la confrontation annoncée entre Aryna Sabalenka et Nick Kyrgios s’inscrit avant tout dans une logique de divertissement assumée.

D'UN COMBAT SPORTIF À UN OBJET MÉDIATIQUE

Longtemps, la « Bataille des Sexes » a incarné un combat qui dépassait le sport. En 1973, la victoire de Billie Jean King avait donné à ce concept une portée politique et sociale durable, bien au-delà d’un simple score.

Au fil des décennies, cet héritage s’est modifié. Les exhibitions successives ont transformé l’affrontement en un objet médiatique. Le retour annoncé en 2025, sous la forme d’un duel entre Aryna Sabalenka et Nick Kyrgios, s’inscrit dans cette logique : plus qu’un combat pour l’égalité, c’est un spectacle avant tout.

52 ans plus tard, la « Bataille des Sexes » n’est donc plus utilisée comme un levier de changement.

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